
les voyages, ça fait rêver quasiment tout le monde.
c'est sur la liste des "choses à faire avant de mourir"
ça permet de découvrir l'Autre, sa façon de vivre, de se nourrir, de voir la vie.
il n'y a pas un voyage dont je n'aie ramené un petit bout de culture culinaire, de philosophie ou d'art de vivre pour enrichir mon quotidien.
avant, quand on voyageait, on envoyait des cartes postales, et surtout on rentrait avec des photos pour faire des soirées diapo (puis des power point, modernisation oblige)
déjà, je trouvais ça chiant, j'ai toujours esquivé les invitations.
pour moi, le voyage, c'est pour soi, pas pour faire baver les autres.
qui n'a jamais entendu dire "ce voyage à Bali, c'était INCROYABLE, on avait la plage RIEN QUE POUR NOUS, tiens regarde les photos"
et les autres de baver d'envie "tu as trop de chance" ou de ravaler leur jalousie "oui oui, c'est pas mal" d'un air évasif.
je n'ai jamais dit à mon entourage quand je partais, même pas mes parents.
parce que je n'avais pas envie de "devoir raconter" en rentrant. on voyage pour s'enrichir, pas pour épater la galerie, je trouve.
quand j'ai ouvert ce blog, j'ai partagé mes voyages. pourtant je n'ai pas partagé que de la nourriture, loin de là.
pourquoi? bonne question... 
est ce que sous couvert du généreux concept de "partage" il n'y a pas surtout un appel à l'approbation des autres, aux likes, à influencer inspirer les autres qui s'empressent de vouloir faire pareil, ou de nous renvoyer une image enviable de nous-mêmes?
en premier lieu, je l'ai fait pour parler de la cuisine locale, puisqu'ici, on parle de nourriture (pour rappel
)
mais aussi, parce que je ne vous connais pas personnellement, donc je n'ai rien à vous prouver, et je ne verrai pas les étoiles dans vos yeux, ni la bave sur vos lèvres (ni la suprême indifférence, tout à fait entendable aussi
). parce que vous allez pas me poser des questions concon comme quand on le raconte en live.
"alors les Anglais, tous roses et gras?"
"alors les Italiennes, toutes des bombasses?"
"alors les Irlandais, tous roux et pochtrons?"
ça me semblait plus légitime de partager ici plutôt qu'en vrai.
pareil pour le Hellfest. à mon boulot, y a que ma directrice qui sait où je vais, parce que je dois bien poser la même date tous les ans (d'ailleurs cette année, j'ai eu droit à "vous avez vu, votre festival il est annulé" - "ah boooooon? sans déconner!!!")
et puis, malgré le peu de temps que je passe sur le net, je vois inévitablement des choses. des liens, des vignettes pour cliquer dessus (je clique pas,la vignette suffit pour comprendre), des articles.
j'ai vu des choses qui m'ont abasourdie: par exemple, un reportage sur Venise (sur arte je crois, je sais plus c'était à la salle de sport lol) qui montre à quel point la ville appartient aux multinationales du tourisme, comment les Vénitiens se font expluser de leur ville pour faire des airbnb, que quand vous visitez Venise, sur les 100 prochaines personnes que vous croisez, probablement moins de 2% seront des habitants de la ville, comment l'artisanat local disparaît au profit de la camelote chinoise, comment les monuments s'abîment (et après on fait la chasse aux pigeons, sans déconner
).
ça m'a rappelé mon voyage à Florence... à Pise exactement, comment tout le monde fait la photo "je soutiens la Tour pour qu'elle tombe pas", les uns à côté des autres, non stop, et la postent en direct sur les réseaux, tant qu'à faire. quand c'est pas les perches à selfie qui enlaidissent tout ce que vous voyez.
ça m'a rappelé mon voyage à Paris, pour l'expo Toutânkhamon, il y a un an (OMG, pile un an!!!) je ne crois même pas l'avoir évoqué ici, j'avais posté le salon de thé Lily of the Valley et Hank Pizza
; les gens prenaient des photos des vitrines d'objets millénaires, et passaient à la suivante sans même un regard ni une pensée pour ces objets qui ont traversé le temps, fabriqués par des humains comme nous, avec des moyens bien "inférieurs" aux nôtres, et pourtant d'une précision, délicatesse, solidité incroyable.
j'ai eu un peu plus de "chance" à l'exposition Tolkien, car les gens présents (j'y suis allée en heure creuse aussi) s'attardaient un peu plus sur les objets, bon il y avait pas mal de lecture aussi lol, et puis c'était interdit de faire des photos. malgré ça, des gens en faisaient quand même, et même des selfies... et les gardiens du musée, ben eux aussi ils étaient sur leur téléphone alors ils ne voyaient pas les gens qui ne respectaient pas le règlement...
ça m'a rappelé le Hellfest, dont l'ambiance se dégrade d'année en année, car de plus en plus de "grand public" y va, des influenceur/ses, des youtubeur/ses, des gens qui veulent faire de l'argent avec leur vidéos; et qui s'en foutent de la musique. j'ai vu des gens assis par terre en plein concert, scroller des pubs ou instagram sur leur téléphone... alors que de vrais mordus de metal (dont des potes de mon groupe!) n'ont pas pu avoir de place.
je vous avais dit que je me tâtais pour y retourner...
j'ai appris récemment que mon ancien appartement, (qui avait été visité par un charmant jeune couple) est devenu un airbnb.
je n'ai jamais pris d'airbnb, et je n'en prendrai jamais. j'irai toujours dans un hôtel indépendant, qui emploie des gens du coin, qui travaille avec des partenaires locaux, qui fait vivre sa ville.
j'ai mené ma petite enquête, le monsieur qui a racheté mon appartement en a aussi à la montagne, et il n'est pas d'ici. ça me pose question: comment on récupère la clé d'un airbnb? (bon ça va pas m'empêcher de dormir hein)
et ce matin, je suis tombée sur ça:
https://mrmondialisation.org/donne-moi-la-main-menino/?utm_source=actus_lilo
je l'ai lu (l'article, pas le livre).
j'ai pensé à Madonna, qui vivait au Portugal pour coller son fils dans un centre de foot prestigieux et parce que c'est avantageux fiscalement parlant (mais je crois qu'elle est partie parce qu'elle était offensée qu'on ne lui donne pas des passe-droits comme rentrer à cheval dans une église millénaire par exemple... et parce que son fils était pas aussi doué qu'elle aurait voulu... bref, osef).
j'ai pensé à mes parents, qui ont évoqué l'idée de finir leur retraite au Portugal (ils sont racistes et détestent le Sud, mais c'est intéressant financièrement)
j'ai pensé à ma soeur, qui vit en camion et qui va y aller aussi, pour le soleil, et parce que c'est pas cher.
j'ai pensé à ma copine Fabiola qui est allée à Malte (ou je sais même plus où lol, c'est ptêt Madère), pour faire le circuit "Tournage de Game of Thrones"
(OMG si je rajoute netflix et facebook, j'aurais écrit tous les gros mots les plus utilisés/recherchés et que je m'applique à prononcer le moins possible)
j'ai pensé à ce mec qui dénonce le tourisme de masse en faisant sur son site des patches avec les selfies des gens, à des endroits populaires, où tout le monde fait la même photo, et la poste sur instagram (et voilà le dernier gros mot
) et c'est édifiant comme les gens s'imitent les uns les autres en cascade.
genre ceux qui font deux heures de queue les uns derrière les autres pour faire the selfie devant une vue de rêve, et hop, c'est fini, suivant.
mises à côté les unes des autres, ça crie la "légitimité" de vouloir faire comme les autres et avoir aussi "droit au rêve" (d'ailleurs maintenant que j'y pense, que crois que c'est le voyagiste FRAM qui avait comme slogan "j'y ai droit!")
j'ai pensé aux 7 ans où j'ai travaillé à l'aéroport à faire passer des groupes de touristes débiles joyeux et farceurs qui allaient s'entasser dans les hôtels 25 étoiles en Tunisie ou au Maroc ou à Majorque pour manger comme des ogres aux buffets continentaux et bronzer à la piscine, faire un tour de car où on a eu préalablement soin de chasser les mendiants sur le circuit, et qui ramèneront des souvenirs achetés à la boutique de l'hôtel. (oui on m'en a ramené des souvenirs de l'hôtel)
c'était y a longtemps, c'était encore le temps des soirées diapo, et pourtant ça me contrariait déjà pour les gens de ces pays, qui voyaient arriver bus sur bus de touristes blancs en canotier et chemises à fleurs (parce qu'ils montent comme ça dans l'avion) appareil photo sur le ventre (ok maitenant c'est téléphone dans la poche arrière)
le voyage, dans le sens noble du terme, n'existe plus.
maintenant c'est une "expérience".
et il faut cumuler les expériences, en avoir au moins autant que les autres, voire plus.
et que ça se voie, surtout. quitte à dépenser de l'argent, autant que ça se sache.
alors j'ai décidé de ne plus participer à cette mise en scène.
avec mon tout petit blog référencé nulle part, j'ai décidé, à mon humble niveau, que je ne posterai plus de photos de mes déplacements.
il y en a déjà bien assez ailleurs.
si je revoyage un jour (pour le moment ça semble assez compromis, et c'est très bien, fuck l'économie, vive le ciel bleu et clair, vive les dauphins et les requins dans les ports, les pigeons tranquilles sur la place San Marco, les phoques sur les plages) je ne posterai que des photos de nourriture. et je ne dirai pas précisément où je suis. (et je ne prendrai pas de airbnb
)
ça ne changera rien à mon humble niveau, pas plus qu'être végé ne change quelque chose au niveau individuel.
mais je ne participerai pas par défaut à cette société qui nous demande de montrer, d'exposer, de "mater" (je déteste ce mot, mais il prend ici tout son sens), de commenter, de retweeter, d'imiter, de ... suivre.
parce que comme l'a si bien dit Gandhi, "vous devez incarner le changement que vous voulez voir se produire dans le monde."
autant donner l'exemple 